Une vertu catastrophique [A Catastrophic Virtue] présente le travail de trois artistes qui ont répondu à l’appel de Catbox Contemporary. Depuis l’existence de la galerie, les artistes ont proposé une variété d’interventions autour de l’arbre à chat. Certain·es en ont profité pour présenter des expositions miniatures dans les deux espaces exigus de la galerie, tandis que d’autres ont tiré profit des plateformes recouvertes de fausse fourrure et les ont transformées en piédestal. Des artistes sont allé·es jusqu’à créer leur propre arbre à chat, tandis que d’autres ont travaillé à partir d’arbres préexistants, les reconfigurant pour en faire des objets uniques. Grâce à Kalliche, Nadreau et Voghell, l’ensemble de ces potentialités est désormais réuni dans une seule et même installation.

J’ai déjà lu une nouvelle qui parlait d’une maison pour personnes âgées au Rhode Island dans laquelle vivait un chat nommé Oscar. Le félin semblait tout à fait ordinaire : il avait des poils mi-longs, un visage gris et blanc agrémenté de rayures sombres. Ses yeux jaunes cerclés de fourrure noire lui donnaient l’air d’être maquillé. En dépit de son apparence ordinaire, le chat ne se contentait pas d’être un simple animal de compagnie. Comme plusieurs chats, il manifestait sa volonté et sa détermination, nourrissait un dessein secret presque imperceptible aux yeux d’un public distrait. Oscar était en mesure d’identifier la prochaine personne à mourir. Instinct, chimie ou magie? Peu importe! L’essentiel, c’est qu’il devinait toujours qui la mort allait faucher. Une fois le verdict tombé, le doux matou passait son temps avec la personne mourante et l’accompagnait jusqu’au trépas. Ses prédictions ne cessaient de se confirmer : il ne pouvait s’agir d’un coup de chance ou d’un hasard. Selon certains médecins, le chat prédit une douzaine de morts consécutives de son vivant.

Notre relation avec les chats a toujours été un peu mystérieuse. La plupart du temps, ils nous laissent avec l’impression qu’on a plus besoin d’eux qu’ils n’ont besoin de nous. Je me demande ce que ça vous ferait de soudainement vous faire élire par Oscar. Pourquoi ce chat vous aime-t-il tout à coup? Au moment où vous formez un couple inséparable, les gens de la maison commencent à vous regarder différemment. Peut-être que certains se montrent plus doux. D’autres peuvent se mettre à ignorer votre existence, à vous traiter comme un fantôme ambulant. Si ce manège dure assez longtemps, vous n’arrivez plus à ignorer l’aura particulière qui entoure votre nouvelle relation. Les rumeurs sur la véritable symbolique de votre alliance sont de plus en plus difficiles à ignorer. Le chat se trompe-t-il parfois? Sinon, est-ce possible de se conforter? Comment un animal aussi mignon peut-il annoncer quelque chose d’aussi sinistre? Le déni s’installe au moment où vous essayez désespérément de vous convaincre que vous faites exception à la règle. Oscar n’a rien d’un médecin, il a sûrement tort, tout ce qu’on raconte sur lui n’est qu’une pluie de superstitions. Or, statistiquement, vous faites erreur et au bout du compte, vous finissez par vivre ce que beaucoup ont vécu avant vous. La présence silencieuse de ce petit être, qui quelques semaines auparavant, vous était indifférente, finit par valoir tout l’or du monde. Le visage d’Oscar affiche l’air satisfait de celui qui a le sentiment du devoir accompli. Et c’est cette image cristallisée que conservent vos prunelles, au moment où vous fermez définitivement les yeux.

Texte par Philip Hinge

Traduit par Daphné B.

Catbox Contemporary a été fondé en 2017 par Philip Hinge. Le projet investit un arbre à chat d’environ deux mètres situé dans son appartement de Ridgewood, à New York. Grâce à Catbox, les artistes peuvent décontextualiser leurs pratiques et contourner de façon inventive et inattendue les contraintes imposées par le mobilier félin (devenu espace d’exposition). En plus d’assurer une programmation régulière dans l’appartement de Hinge, Catbox a présenté des expositions « chatellites » ailleurs, notamment à la galerie Alyssa Davis (New York, É.-U.), à Plague Space (Krasnodor, Russie), à The Artist’s Institute (New York, É.-U.), à Bait Ball (présentée par Like a Little Disaster et Pane Project) et au White Dwarf Project (Vienne, Autriche).

Gregory Kalliche est un artiste qui vit à Queens et qui travaille à Brooklyn. Il a participé à des expositions solos et collectives à KAJE (New York), au CAPC musée d'art contemporain de Bordeaux (France), à la galerie Winter Street (Massachusetts), à Freddy (New York), à Helena Anrather (New York), à Interstate Projects (New York), au Fall River Museum of Contemporary Art (Massachusetts) et au New Museum (New York). Il dirige aussi la publication 57 Cell, qui présente des expositions modélisées en 3D dans des environnements fictifs. Avec l’artiste Harry Gould Harvey IV, il co-dirige Pretty Days, un projet commissarial « hors les murs ».

De Los Angeles, Naomi Nadreau s’intéresse principalement à la sculpture et poursuit actuellement une maîtrise en beaux-arts à l’université de San Diego. Évoquant l’altérité au cœur de la maîtrise de soi et la poursuite de modes alternatifs d’existence, iel amalgame des objets trouvés à des matériaux organiques et à de la céramique, tout en puisant dans l’imaginaire de la science-fiction. L’artiste se fait gardien·ne des objets et de la matière. Elle rend hommage à leur fragilité et reconnaît le pouvoir que sous-tend leur illisibilité.

Née en 1991, Mégane Voghell vit et travaille à Tiohtià:ke/Montréal, QC. S’intéressant aux corps et aux affects, elle explore les problématiques principales sous-jacentes à la représentation de la vie dans un contexte hypermédiatique. Elle étudie plus particulièrement les écologies naturelles et sociales à travers le prisme de l’imitation numérique. Elle exploite la vidéo, le dessin, l’installation et l’écriture épistolaire pour examiner le pouvoir séducteur des images : comment existent-elles et quelles traces laissent-elles derrière elles?