Breaking the Waves [L'amour est un pouvoir sacré]
Artiste : Oda Iselin Sønderland
Dates : Du 3 juin au 15 juillet, 2023
Vernissage : 3 juin, 16h – 19h (en présence de l’artiste)
Lieu : Pangée, 1305 ave des Pins O., Montréal
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Tous ses trophées champêtres sont, comme elle
Tombés dans le ruisseau en pleurs. Ses vêtements se sont étalés
Et comme une ondine, l’ont soutenue un moment
Pendant qu’elle chantait des bribes de vieilles chansons ;
Comme insensible à sa propre détresseHamlet, Acte 4, Scène 7
L'exposition d'Oda Iselin Sønderland, Breaking the Waves [L'amour est un pouvoir sacré], à Pangée, marque la descente de l'artiste norvégienne dans des profondeurs psychologiques et visuelles jusqu'alors inexplorées. L’exposition d’Oda Iselin Sønderland, à Pangée permet à l’artiste norvégienne de sonder des profondeurs psychologiques et visuelles inexplorées. Ses œuvres, de véritables dolines visuelles, exercent une force gravitationnelle ; elles nous font basculer en nous-mêmes, chuter toujours plus creux. Une auto s’enfonce dans l’eau, alors qu’ailleurs, elle engloutit un corps. Au sol, un carrelage oriente notre regard vers une mystérieuse lueur verte qui embrase l’extrémité d’un tunnel. Sønderland puise dans le lexique des transports — elle sonde les stations de métro, les véhicules et les portails qu’on ne visite qu’en rêve.
Dans Breaking the waves [L'amour est un pouvoir sacré], sa fascination de longue date pour le folklore norvégien se métamorphose en une mythologie plus personnelle. Nokken, un esprit aquatique qui pousse à la noyade, et Huldra, une créature enchanteresse qui égare les visiteurs avec son chant, se voient tous deux remplacés par des entités que l’artiste tire directement de sa psyché. Au sein de ce nouveau corpus, c’est l’archétype d’Ophélie qui se taille une place centrale. On reconnaît immédiatement la jeune femme sans vie qui flotte sur l’eau, les bras écartés et la tête renversée : elle nous renvoie au personnage tragique de Shakespeare, d’ailleurs immortalisé par les peintres préraphaélites. Rappelons-nous qu’Ophélie symbolise la perte de l’innocence, mais aussi l’hystérie et l’érotomanie, des égarements dont on taxe souvent les femmes timides et inexpérimentées sexuellement. L’Ophélie de Sønderland n’est pourtant pas celle des préraphaélites : au lieu de dépeindre une femme sur le point de mourir, l’artiste nous donne à voir un personnage qui semble plutôt revenir à la vie. Dans Forest [Forêt], la femme flottante a la tête inclinée, comme si elle venait de se réveiller en sursaut, le corps en suspens, les yeux braqués au loin, brillant d’un bleu presque surnaturel.
L’étrangeté du travail de Sønderland tient au soupçon d’horreur qui le traverse, à l’image d’un corps qui se déplacerait à reculons. Dans ses œuvres, les personnages solitaires aux airs de poupée incarnent la transformation, tandis que les talismans spirituels foisonnent : des doigts pointés vers les cieux, l’orgue d’église inquiétant dans Hjertet, la fillette ailée dans Soprano. Le symbole de morphose le plus prégnant demeure la présence de l’eau. Les plans aquatiques servent de temples : des sanctuaires liquides dédiés à la méditation et au renouveau. Submergés, les personnages de Sønderland transcendent les limites de leur propre corps.
L’aquarelle maîtrisée de Sønderland et ses portraits aux inspirations mythiques évoquent la tempera à l’œuf des scènes bibliques du début de la Renaissance. Les lavis vaporeux et les détails minutieux qui caractérisent ses toiles trahissent une dévotion artistique presque insensée. Or, les paysages toscans et les saints cèdent leur place aux allégories privées de l’artiste, sur fond de forêts nordiques ou d’industrialisme européen. Des étangs comme des trous sont remplis de trophées herbeux d’où s’échappent les bribes de vieilles chansons. Et c’est là toute la générosité de son art : on peut y apercevoir un univers en évolution. Un monde plat et ingénieux se transmute peu à peu en histoires riches et obsédantes, empreintes d’une féminité complexe.
Texte par Claire Milbrath
Traduit par Daphné B.
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Oda Iselin Sønderland (née en 1996 à Oslo) est une artiste norvégienne et irlandaise qui vit et travaille actuellement à Oslo. Ses aquarelles entremêlent éléments figuratifs, naturels, symboliques et contemporains, juxtaposant des personnages et des mondes fantastiques à des paysages urbains et des objets de la vie moderne. Ceux-ci sont souvent présentés comme des seuils, des cadres à l'intérieur même d'une image, comme un moyen de transport entre un monde imaginaire et la réalité que nous connaissons. Sønderland est fortement inspirée par le symbolisme de la fin du XIXe siècle, visible à travers sa fascination pour les rêves, la magie et le fantastique, et la psychologie. Sønderland embrasse le processus de création comme un outil afin de sonder les courants profonds de l'esprit.
Elle est titulaire d'une licence en design graphique et illustration de l'Académie nationale d'art d'Oslo (2018) et d'une maîtrise en peinture du Royal College of Art de Londres (2022). Son travail a été présenté dans des expositions solo et collectives à l'échelle internationale, notamment à Nevven Gallery (Göteborg), Galleri Golsa (Oslo), 1969 Gallery (New York), Pangée (Montréal), Marlborough Gallery (Londres) et Castor Gallery (Londres).