Shine

Artiste : Garrett Lockhart
Dates : Du 18 janvier au 1er mars 2025
Vernissage : samedi le 18 janvier, 16 à 19h (en présence de l’artiste)
Lieu : Pangée, 1305 ave des Pins O., Montréal

  • On vient à peine d’emménager.

    Une ferme à deux étages sur un terrain encadré par des arbres. La majorité de nos boîtes s’empilent encore dans le salon, une effigie de carton, des braises que j’essaie de disperser dans toute la maison. Le lit est fait, il y a déjà quelques assiettes dans le lavabo. Je transporte une boîte dans la salle de bain, une autre dans le bureau, et je décide quels souvenirs assigner au grenier.

    Ça sent encore ceux qui étaient ici avant. Les armoires, les placards, le grenier, le sous-sol, la cour, toutes les pièces et leurs recoins. Je déballe. Je suis tanné de me sentir comme un visiteur, alors je traque leur poussière pour expulser ces locataires tenaces. Je nettoie chaque pièce, jauge mon travail. Me suivent-ils quand j’ai le dos tourné ? Je deviens fou c’est sûr. 

    Je me mets à genoux pour sentir les lattes du plancher ; je prends un couteau pour gratter les crevasses. Je dévisse les luminaires, je passe l’aspirateur dans les prises électriques, je frotte les murs à la laine d’acier jusqu’à la couche d’apprêt. Je démonte la quincaillerie, je trempe les poignées de porte et les serrures dans du vinaigre, je nettoie les vis, j'extrais la crasse incrustée dans les portes et entre les vitres. Je suis épuisé et pourtant complètement éveillé, ces gens me hantent. Nos Days of Heaven.

    Au matin, j’ai la nausée. Cette pièce reste toujours si froide. Je repense à la veille et me demande si ce n’était qu’un délire olfactif. Je descends les escaliers sur la pointe des pieds, en faisant attention de ne pas déranger la poussière, de ne pas réanimer leurs fantômes. La cuisine est sous la chambre, à l’arrière des escaliers, et je l’atteins moins affamé qu’angoissé. Il reste de la poussière au plafond. J’ai espoir, mais le lait a un goût de noirceur, une odeur de boules à mites et mon sang-froid s’écroule sur lui-même. Je le laisse sur le comptoir et m’effondre à genoux, rampant aveuglément jusqu’au salon dans un ouragan de larmes, une tempête qu’on dirait née seulement pour moi. Je me sens isolé et indigne, comme si on m’avait interpellé pour excès de vitesse alors que je ne faisais que suivre le trafic. Quelle chance. Je rêve de machines à sous. 

    En quelques instants, mes larmes ont déjà écaillé le vernis du plancher. Je n’en reviens pas. Revigoré. Je me lève pour trouver un marteau et avec son pied-de-biche, j’attaque le sol. Je décide de rénover.

    Dans la cour, une flamme éternelle brûle. Elle s’amenuise assez lentement pour que je puisse la réalimenter. À la lueur du feu, je distingue les lattes du plancher, le gypse, les éclats de peinture et les morceaux de plastique fondu, les câbles, le métal, l’isolant, le bois. Je me demande si après tout ça, je découvrirai un nouveau type de roche, un agglomérat inconnu. Cette pensée m’apaise. Je frappe à travers le mur extérieur depuis la chambre d’amis à l’étage. C’est la seule chose que je peux faire pour y voir quelque chose, les fils dans le feu ont emporté l’éclairage. Autour de moi, dans une lumière orangée, je vois une pièce dépouillée, réduite à son squelette.

    Je me réveille à l’aube du deuxième jour. Je me lève promptement, paniqué par le feu qui diminue ; je prends une gorgée de l’eau de la toilette pour me calmer les nerfs. La maison nourrit la flamme. Je ne trouve pas le marteau, alors comme un rat, je ronge le bois. Quelques heures plus tard, avec une dent cassée, je me traîne jusqu’au garage. Une massue. Pas à pas, je monte l’escalier. Le couloir menant à la porte d’entrée s’effondre. Dehors, loin du feu, nos affaires sont blotties sous une bâche. Je me rappelle de respirer, l’air est en fusion. 

    L’odeur du brûlé me donne faim, alors je mâchouille des morceaux de chaussures en cuir. Dans la clarté, mon estomac comprend que ce n’est pas une histoire de rénovation, mais d’exorcisme. J’empile un pont entre le feu et la maison. Le squelette s’embrase, le vent hurle le destin. Je me demande pourquoi je suis seul et je tremble jusqu’à ce que le feu décline. Je lis dans ma paume, mais elle ne me révèle rien. Je m’endors en rêvant de pluie. Au matin, je pleure les cendres.

    Texte original par Marlon Kroll

  • Garrett Lockhart est un artiste explorant la maison, le corps et le coeur.

    Ses expositions personnelles récentes incluent The World Awake à South Parade (Londres, Royaume-Uni), Wrinkle à la Hunt Gallery (Toronto Canada), Relay à Pumice Raft (Toronto, Canada) et Wrought Bundle à Afternoon Projects (Vancouver, Canada). Parmi ses expositions duo/collectives récentes, on trouve To pluck eternity along the lines of circadian

    rhythm à Susan Hobbs (Toronto, Canada), a little, left over à Weatherproof (Chicago, États-Unis), Doing Time à South Parade (Londres, Royaume-Uni), Dawn Draws, Dusk Drops à Joys (Toronto, Canada), A word for underfoot; the sun à la Hunt Gallery (Toronto, Canada), et Poem Objects à April April (Brooklyn, États-Unis).

Photos par : William Sabourin