Lombrives
Artistes : Élise Lafontaine
Dates : Du 11 mai - 15 juin, 2024
Vernissage : samedi 11 mai, 16h – 19h (en présence de l’artiste)
Lieu : Pangée, 1305 ave des Pins O., Montréal
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En 2018, Élise Lafontaine se rend à la grotte de Lombrives, dans les Pyrénées françaises. Elle passe la nuit dans ses profondeurs, s’éclairant à la faible lueur de bougies et de lampes de poche. Alors que l’obscurité entrave ses perceptions, ses sens s’éveillent, s’aiguisent. La conjonction d’une perception sensorielle accrue et d’un appauvrissement de stimulus opère un changement majeur dans sa pratique artistique, un bouleversement auquel elle dédie l’exposition Lombrives à Pangée.
Dans des œuvres comme La Cathédrale, l’emploi de teintes dorées évoque les flammes vacillantes se reflétant sur les parois imposantes de la grotte. Divisée par un axe central, la toile donne à voir un effet de symétrie, mais les deux parties qui la composent, à la manière d’un écho qui se réverbère, comportent des différences subtiles. Ponctuée de perles de lumière, la toile est traversée de rubans chatoyants qui s’entrelacent et projettent une lueur surnaturelle. Exsudant une énergie tangible et chaude, La Cathédrale semble animée d’un mouvement. On croirait la voir spiraler autour d’un axe, à l’image de la double hélice de l’ADN. Et d’ailleurs, les coups de pinceau de Lafontaine se superposent, perméables, comme pour imiter l’éclat translucide de la peau humaine.
Grâce à ce nouveau corpus d’œuvres, Lafontaine poursuit son exploration et son amalgamation des échelles de grandeur. En présentant d’imposantes formes architecturales qui renvoient à la délicate complexité de membranes cellulaires microscopiques, ses toiles font écho à ce mélange. C’est qu’Élise Lafontaine souhaite brouiller et subvertir la stabilité de ses toiles typiquement symétriques et géométriques. Elle s’explique : « Je voulais que les formes rappellent la circulation du son dans le corps. » Cette résonance intérieure est fortement présente dans ses compositions et s’inspire de son expérience dans les profondeurs de la grotte. Encerclée par une obscurité épaisse, elle dit avoir eu l’impression de sentir s’effriter les limites de son être. Dans ses toiles, les corps semblent ainsi se dilater jusqu’à fusionner avec l’essence même de la grotte.
Lafontaine met souvent les structures et les formes que l’on retrouve dans son travail en relation avec le corps féminin. La courbe de ses lignes et la solidité de ses compositions rappellent la charpente osseuse de nos corps. Ses cages thoraciques, d’imposantes formes qui semblent défier la gravité, ont une envergure telle qu’elles supposent un équilibre précaire, un effondrement imminent. Cela est particulièrement visible dans La Galerie Blanche, une toile dans laquelle des colonnes souterraines brouillent les frontières entre le réel et l’imaginaire et où des stalactites et des stalagmites se superposent à des voûtes dorées. Les figures de cette œuvre s’inspirent d’un cliché que l’artiste a pris d’elle-même à Lombrives et dans lequel sa silhouette se fond harmonieusement aux stalactites centenaires.
Les parois brutes et les contours organiques de Lombrives ont incité Lafontaine à innover : l’artiste a fixé ses toiles de lin sur des supports volumétriques en bois, une technique qu’on appelle « marouflage ». Dans une œuvre comme Small Concretions, les formes dépeintes ont l’aspect de colonnes ou d’ossatures, exsudent une aura distincte et se rapprochent de l’écho — du son qui résonne dans l’espace. La riche surface sculpturale de l’œuvre est ornée de rouges et de roses vibrants. Or, au cœur du flot rythmique, les lignes se fondent, se brouillent et s’estompent, désorientent légèrement le regard. Ce vertige fabriqué induit un sentiment d’immensité et de sacralité. Dans une autre des toiles, La Carène, d’apaisants bleus foncés nous attirent et nous laissent entrevoir les pans d’une ancienne peinture, vestiges subtils d’un autre monde spéculatif. Une chaleur rose et éclatante irradie de l’axe central et fait contraste avec les bleus froids et les mauves profonds qui l’avoisinent. On dirait que la toile nous invite à pénétrer dans son antre. On retrouve ce sens du mouvement dans la mise en espace méticuleuse des expositions de Lafontaine, qui comporte toujours un rythme entrecoupé de pauses. L’artiste incorpore à l’exposition de petites toiles aux côtés arrondis ; elles ponctuent l’espace de délicats éclats de lumière. Les bleus, les verts et les mauves foncés qu’on retrouve dans les autres œuvres évoquent la tranquillité que Lafontaine a ressentie dans les profondeurs de la grotte, là où elle a surmonté la noirceur, le danger et l’instabilité. Ce lieu a fini par devenir un sanctuaire, semblable à un utérus ou à un placenta terrestre — un espace dédié à la contemplation et la création.
— Texte de Marie-Charlotte Carrier
Traduction de Daphné B. -
Élise Lafontaine (née en 1984 à Montréal, Canada) est titulaire d’une maîtrise en arts visuels et médiatiques de l’Université du Québec à Montréal (2020) et d’un baccalauréat en arts visuels de l’Université Concordia (2015). Elle a participé à diverses résidences, notamment au Malévoz Quartier culturel (Suisse), au Vermont Studio Center (États-Unis) et au Leipzig International Art program (Allemagne). En 2022, Lafontaine a effectué une résidence à la Fondation Christoph Merian (CALQ) en Suisse, et a présenté des expositions individuelles au Sothu Salon à Zurich (Suisse) et à la Pangée à Montréal (Canada). Son travail a été présenté dans des expositions collectives à Montréal, notamment au Centre Clark, à la Fondation Rad Hourani, à McBride Contemporain, à la Maison de la culture Plateau-Mont-Royal, à l’Usine C et à Art Mûr. Elle est également récipiendaire de nombreuses bourses, la plus récente étant celle du Conseil des Arts du Canada pour la recherche et la création. Son travail a été publié dans Autumn Issue 19 et ARTMAZEMAG. Élise Lafontaine est représentée par Pangée (Montréal).
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Élise souhaite remercier les merveilleuses Pangettes, Marie-Charlotte Carrier, Xénia Benivolski, Marie Ségolène, Frédéric Chabot (Atelier Polygone), Flyss, Catherine de l'équipe de Lombrives Pyrénées, Daphnée B., Anne-Renée Hotte & Martin Schop, Hansé Galipeau Théberge, Dieu du Ciel !, Est-Nord-Est, Mélodie Aubut, William Sabourin, Gilles & Kathrine Lafontaine, Muriel Ahmarani Jaouich et le Groupe des 6, alias « Boules chinoises ».
Et tient à remercier le Conseil des Arts du Canada pour son soutien inestimable.
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