en perpétuelle mue, toujours en devenir

Artistes : Elisabeth Perrault & Marion Wagschal
Dates :
Du 18 septembre au 1er novembre 2025
Vernissage : jeudi le 18 septembre, de 16h à 19h
Lieu : Pangée, 1305 ave des Pins O., Montréal

  • Le corps est un sujet ayant largement traversé l'histoire de l'art. Idéalisé, objectifié et dépouillé de ses vulnérabilités, il a souvent été neutralisé et dénué de sa complexité. Dans les œuvres de Marion Wagschal et d’Elisabeth Perrault, cependant, le corps retrouve sa pesanteur et sa fragilité en tant que vaisseau de la mémoire et lieu d'héritage où le désir, le grotesque et le sacré se confondent. Leurs œuvres se rapprochent l'une de l'autre – les assemblages tactiles de Perrault et les tableaux picturaux de Wagschal – chacune confrontant avec une candeur déconcertante les notions d'intimité et de perte.

    Les peintures de Wagschal, à la fois monumentales et tendres, mettent en scène une confrontation avec les cycles de la vie et de la mort. Dans Colossus (2016), elle représente son propre corps nu avec un crâne placé entre ses jambes, une provocation par laquelle s’effondre en une seule image l’immuabilité de la naissance et de la mort. La mortalité refait surface dans Atelier (1991), inspiré d'un véritable squelette qui était accroché dans le département d'art de l'université Concordia jusqu'au début des années 1990. Le travail de Wagschal oscille entre l'historique, le fictif et l'autobiographie produisant des figures qui, plus grandes que nature, demeurent toutefois ancrées dans des scènes évocatrices mêlant souvenir et fantaisie.

    Parmi les œuvres les plus marquantes de l'exposition, The Melancholy of Carnivores (2014) confronte le spectateur à l'éthique de la consommation. Inspirée par le rapport conflictuel de Wagschal à la consommation de viande pour se nourrir, tout en étant confrontée à la brutalité que ce geste implique, cette œuvre ouvre la voie à une méditation plus large sur la complicité, l'appétit et la violence inhérente à notre survie. Dans ses portraits – qu'il s'agisse de membres de sa famille, d'amis ou de modèles –, l'intimité est présentée comme un espace à la fois de soin et de malaise. Dans PK22 (2022), son pinceau s'attarde sur la fragilité de la chair, capturant l'étrange concomitance de la vulnérabilité et de la monumentalité.

    Les œuvres de Perrault – en partie créées en dialogue avec la sélection de Wagschal – prolongent cette réflexion sous une forme sculpturale. La fontaine (2025) évoque la mort idéalisée des femmes noyées, des corps mythifiés, érotisés et effacés par des siècles de représentations artistiques et littéraires. Des fleurs, des tissus et des cheveux entrelacés avec du silicone et de l'eau évoquent un reliquaire de la perte à la fois dévotionnel et troublant. Dans Le clown (2025), une figure précaire cousue à partir de textiles empilés et d'objets trouvés est assise sur un chevalet à bascule, oscillant entre humour et désespoir. L'œuvre considère la consommation – d'alcool, de drogues, de sexe ou d'objets – à la fois comme un mécanisme d'adaptation et une forme d'évasion, et matérialise l'instabilité vertigineuse qu'elle produit.

    Dans la même veine que Colossus, certaines des œuvres de Perrault s'orientent vers l'autoportrait et l'héritage. Ma peau de 29 ans (2025) fait partie d'une série en cours dans laquelle l'artiste moule du tissu directement sur son propre corps pour créer des autoportraits, ou « secondes peaux », qui capturent la continuité, la transformation et la régénération de la mémoire corporelle. De passage (2025) prolonge cette réflexion sur la lignée maternelle, évoquant la manière dont les traumatismes et les expériences se transmettent à travers les générations, portés par la chair, le tissu et les os.

    Ce qui rend cette rencontre entre Wagschal et Perrault significative, c'est la continuité qu'elle révèle : à travers les générations et les matières, les deux artistes utilisent le corps pour explorer la manière dont la mémoire s'inscrit, se transmet et se transforme. Le corps est ainsi rendu non seulement de manière formelle, mais également dans un processus en perpétuelle mue, intrinsèquement fragile et toujours en devenir. Pour Wagschal, la chair devient un espace de vulnérabilité et de vérité existentielle ; pour Perrault, la matière elle-même – textile, céramique, cheveux ou fleurs séchées – prend le rôle de la peau, des os et des organes, préservant les empreintes de soi et de ceux qui nous ont précédés. Ensemble, leurs œuvres offrent une méditation sans concession sur ce que signifie hériter d'un corps, habiter un corps et le fait d’être témoin de ses transformations inévitables.

    - Texte d’Anais Castro
    traduction de Gautier Lemelin

Photos par Atlas documentation