Dans ses reflets, le Monde est beau deux fois

Artistes : Catherine Desroches
Dates : Du 16 mars au 27 avril, 2024
Vernissage : samedi 16 mars, 16h – 19h (en présence de l’artiste)
Lieu : Pangée, 1305 ave des Pins O., Montréal

  • Les œuvres de Clap! s’intéressent à la notion de célébrité, cette gloire au pinacle de la performance identitaire et de l’idéalisation esthétique, étrangement inexistante et perpétuellement éternisée dans une surabondance de photos sur papier glacé, à la fois partout et nulle part, omniprésente et impénétrable. Hollywood est un conte de fées, tandis que l’histoire est peuplée de fantômes : en ces lieux, les mortels ne meurent point. Mais quelle absence obsédante sous-tend donc une présence d’une telle magnitude ?

    Si Cristine Brache et Michael Thompson travaillent à partir de vieux films, c’est dans le but de tisser une plus grande intimité avec notre histoire culturelle collective. En investissant des emblèmes tapageurs, ils composent ensemble une mélodie lancinante. Les artistes n’ignorent pas que le passé est une construction clinquante. Ils s’attèlent à débusquer la souffrance intime au sein de chaque performance publique. Caressées par la mélancolie du temps qui passe et l’inconstance de la mémoire, leurs œuvres témoignent d’une douce curiosité à l’égard de personnages révolus, de ceux qu’on ne peut plus réunir.

    Dans « Peeper », la vidéo-sculpture de Brache, le trou de serrure d’une porte couverte de cœurs nous permet d’épier des Bunny girls dans leur loge. Elles se pomponnent au rythme d’un poème de Dorothy Stratten (chanté par un quatuor de barbiers). La poète est une playmate assassinée par son ex-mari à laquelle Brache a dédié de nombreuses œuvres. À travers le judas, par-delà les sourires qu’on singe pour la caméra, la barbarie de la célébrité et l’emballage cellophane qui enrobe nos icônes, on espère capturer la véritable humanité de ces femmes devenues marchandises. Le glamour, dans sa définition archaïque, représente un envoûtement, un sortilège. Ailleurs, dans « Disneyland », on retrouve Stratten, élue Playmate de l’année, imprécise et floue, à l’émission de Johnny Carson. Les œuvres de Brache témoignent d’un glamour qui se sait faux. Même si le spectacle doit continuer, les fichiers qui lui permettent de poursuivre sa course se corrompent et boguent; la technologie requise pour maintenir l’illusion est frappée d’obsolescence.

    Thompson peint une boule disco qui scintille dans une pièce rouge, un baiser au doigt serti de diamants, une photo de mariage qui documente une performance intime. Le cadrage du costume lamé or d’Elvis dans « A Study in Stroll » nous rappelle que oui, les pieds de cette légende ont un jour foulé notre sol. En superposant des images dupliquées, l’œuvre évoque un film fixe, mais aussi le fait qu’Elvis est né jumeau d’un frère mort, à jamais hanté par l’absence de son double. « You will never walk alone », chantait-il. Thompson travaille à partir d’images trouvées qui appartiennent aux décennies passées. Il zoome sur elles et les recadre, ne peignant qu’une fraction spécifique de ces photos. Ses toiles reprennent le langage de la photographie argentique et celui des vidéos qui façonnent notre mémoire collective. Or, leur nouveau médium les prive du contexte fourni par le mouvement et met plutôt l’accent sur la surface.

    Dans l’ensemble, Clap! rappelle l’exercice laborieux de la mémoire qui puise dans la machine à montage de l’esprit. On a l’impression de fouiller l’obscurité du regard pour jauger l’ampleur de ce que la compression du temps nous a fait perdre. Poussés par une soif aimante, comme s’ils examinaient d’anciennes photos de famille, Brache et Thompson cherchent tous deux le royaume invisible qui se cache derrière les artefacts culturels hautement visibles. Excessivement conscients du lien entre mémoire et image, les deux artistes considèrent pourtant ces concepts comme faillibles, voire en voie de désintégration, alors même qu’ils sont malheureusement les seuls outils que l’on possède pour accéder à ce qui nous précède.

    — Texte de Olivia Whittick
    Traduction de Daphné B.

  • Cristine Brache est une artiste, écrivaine et cinéaste basée à New York. Elle a obtenu une maîtrise en beaux-arts et médias à la Slade School of Fine Art de Londres. Cristine Brache travaille principalement la peinture à l'encaustique, la sculpture et le cinéma, en utilisant souvent des supports obsolètes, de l'acrylique, des readymades et des textiles. Son travail s'articule autour des constructions du corps et de la psyché féminins, des histoires brisées, du masquage et de l'inévitable dynamique de pouvoir qui accompagne ces thèmes. L'artiste s'intéresse également à la mortalité, à la nostalgie et à la solitude. Brache a exposé au niveau international dans des galeries et des institutions telles que Berlinische Galerie, Perez Art Museum Miami et ICA Miami. Ses films ont été projetés dans des festivals tels que le Florida Film Festival (Orlando), le Miami Film Festival (Miami) et le Slamdance (Park City). Son travail a fait l'objet de critiques dans Artforum, The New York Times et The New Yorker.

  • Michael Thompson (né en 1997 à London, ON) est un peintre qui vit et travaille à Toronto. La pratique de Thompson étudie la traduction d'images photographiques en peintures. Son travail récent examine plus particulièrement la nature documentaire de la photographie et utilise la peinture comme un espace afin de traverser des terrains incertains et compliqués. En 2019, il a obtenu une licence en beaux-arts à l'université Western et est devenu artiste résident à la Slade School of Fine Art en partenariat avec le Camden Art Centre (Londres). En 2022, il obtient une maîtrise en beaux-arts de l'Université de Guelph. Thompson a récemment participé à des expositions au Canada, aux États-Unis et au Royaume-Uni. Sa plus récente exposition solo, Chorus Coda, a été inaugurée à Franz Kaka (Toronto) en 2023. Thompson fera partie de la prochaine exposition Greater Toronto Art 2024 au MOCA, Toronto, la première présentation institutionnelle de l'artiste.