Sunkissed

Artiste : Trevor Baird
Dates : Du 20 janvier au 02 mars 2024
Vernissage : 20 janvier, 16h – 19h (en présence de l’artiste)
Lieu : Pangée, 1305 ave des Pins O., Montréal

  • Les céramiques de Trevor Baird ont un air archaïque, terni. Elles semblent parfois avoir succombé à l’érosion ou à l’étreinte lente du lichen et arborent d’antiques messages codés qui mystifient le spectateur. Vient-on juste de nous créer, demandent-elles, ou bien de nous trouver ?

    Ces céramiques nous paraissent anciennes avec raison : qu’y a-t-il de plus vieux que la terre elle-même ? Quel nouveau-né n’est pas la somme de ceux qui l’ont précédé ? Avec sa nouvelle série d’œuvres, Sunkissed, Baird harmonise la relation qui existe entre la matière, la psyché, l’esprit et le moi. S’appuyant sur un procédé préhistorique, son travail fait fi du charme et de la facilité qu’on associe à la technologie contemporaine. L’artiste dépouille plutôt l’art de toute chair, en extrait la moelle substantifique, ne travaillant qu’à partir de ses composantes les plus primitives, les plus naturelles. Olive, rouille et terre d’ombre, ses pièces cuites au feu de bois miroitent d’un éclat timide, comme le hâle qui habille nos bras, nos jambes et nos fronts d’été. Recevoir la caresse du soleil ou du feu, c’est subir une transformation. Le bois crépite, il se fend, se tord, devient braise rougeoyante, se décompose en charbon poreux puis en cendres duveteuses ; l’argile et le feldspath se durcissent, se fortifient, se réchauffent et luisent. Les matériaux ne disparaissent pas, mais changent simplement de forme : c’est une transmutation. Car bien qu’il soit un artiste, le céramiste est avant tout un maître de l’alchimie. Il a pour tâche de faire renaître ce qui existe déjà — la matière, mais aussi sa propre personne et son public — il les renouvelle entièrement.

    Baird refuse sciemment d’assimiler l’argile à la façade immaculée de la modernité, à sa surface alléchante, esthétique et artificielle. Il défend plutôt la nature dichotomique de l’âme et recourt à des symboles alchimiques collectifs, parfois instinctuels. Ici, le cou phallique d’un cygne pénètre l’espace négatif et vulvaire des ailes. Là se dressent un arbre de la Bodhi, la materia prima, ou les chemins sinueux de l’analyse de rêves jungienne, qui alludent au processus d’individuation. Selon Mircea Eliade dans Forgerons et alchimistes, la projection permet de retrouver des morceaux de soi dans la matière brute. Les œuvres de Baird suggèrent elles aussi qu’on se construit en collaborant de façon intime avec la nature. En ce sens, on peut qualifier ses pièces d’artefacts spirituels.

    Dans la Genèse, Dieu fait tomber Adam dans un sommeil profond, ouvre son flanc, puis se saisit d’une de ses côtes. De cette côte naît Ève, puis d’Ève, tous les êtres humains. Et l’utérus de ce dieu femme est un récipient. Le regard que Baird pose sur la céramique et sur la manipulation des matières premières est obstétrique. Lui aussi — la mère, l’anima ou Dieu —, tire des côtes de son feu. Motif récurrent, ces os représentent le concept alchimique du récipient en tant que symbole de l’âme.

    Prêtant hommage à nos échafaudages internes, les fuseaux incurvés de nos os qui renferment la pile douce de nos organes et leur mécanique (un quasi vide qui ordonne nos fonctions cardiovasculaires, digestives, et qui panse aussi nos blessures psychiques), nous sommes des récipients à la fois spirituels et physiques. Dans Animus Mondi ou « Une poitrine pour le monde », Baird aiguise sa maîtrise du motif osseux. Les côtes devenues cage anatomique nous rappellent que nous sommes tous contenus, emprisonnés. On ne peut d’ailleurs manquer d’apercevoir l’espace négatif qu’elles renferment, là où siège habituellement le cœur. Comme si les œuvres avaient conscience d’être captives du plan matériel, elles demandent aux spectateurs de combler les trous : « Celui qui regarde dehors rêve ; celui qui regarde en lui-même s’éveille. »

    Texte de Rebecca Storm

    Traduction de Daphné B.

  • Trevor Baird (né en 1990 à Vancouver, C.-B.) vit et travaille à Montréal. Il a étudié à l'Université NSCAD, à Halifax, et détient un baccalauréat en céramique de l'Université Concordia. Son travail a été exposé au Eli and Edythe Broad Museum, Lansing ; Harpy, Rutherford ; The Hole, New York ; Pangée, Montréal ; et Arsenal, Toronto/New York. En 2022, il a participé à "Finger Bang", une exposition collective commisariée par Genesis Belanger et GaHee Park, présentée à Perrotin, à Paris. En 2019, il a été présélectionné pour le prix Winifred Shantz et a fait partie de l'exposition "La machine qui enseignait des airs aux oiseaux" au Musée d'art contemporain de Montréal (Canada). Il a récemment été finaliste du Prix Pierre-Ayot et a reçu la Bourse de recherche et de création du Conseil des Arts du Canada (recherche sur les matériaux). Trevor Baird est représenté par Pangée.