L’arrière-scène [Back of House]

Artiste : Max Keene
Dates : 25 mars au 13 mai 2023
Vernissage : 25 mars, 16h – 19h (en présence de l’artiste)
Lieu : Pangée, 1305 ave des Pins O., Montréal

  • Je suis en train de lire un livre de Philip Guston. J’aime lorsque les artistes que j’admire entretiennent pour d’autres artistes une fascination qui frise l’inquiétude. L’obsession de Guston, c’est Rembrandt. Particulièrement dans sa période tardive : au moment où le peintre néerlandais semble considérer les contours comme des éléments facultatifs, allant parfois jusqu’à faire fi de ces frontières qui distinguent le sujet de l’espace. Cette approche pousse Guston à dire que les portraits de Rembrandt ne sont « pas des peintures, mais de vraies personnes », en ce qu’ils détiennent la rare capacité de contourner ce que lui-même nomme « le plan de l’art ». Le célèbre peintre la court-circuiterait avec subtilité et grâce. À mes yeux, le travail de Max Keene accomplit une prouesse similaire, même s’il ne donne vie à aucune entité physique ou personne. C’est plutôt le comportement abstrait et brumeux de la mémoire qu’il déploie sous nos yeux.

    Les toiles de L’arrière-scène [Back of House] s’approprient avec adresse un langage figuratif : l’empreinte d’une chaussure, d’anciennes statues, des clés, des gourdes de cuir, un coureur, par exemple. L’artiste semble avoir pigé aléatoirement dans son réservoir mental d’images pour élaborer cet échantillonnage amusant : ici, un objet du quotidien, là, un instant de vie. Mais c’est le style de Keene qui transcende ce que Guston appelle « le plan de l’art », un style qui semble vouloir cerner la nature de l’inconscient, cet espace en expansion constante dans lequel les images affluent et s’entrechoquent. L’aérographe, l’outil privilégié de Keene, se révèle ici d’une aide précieuse. Il permet à l’artiste de produire des formes brumeuses aux couleurs pâles et feutrées. Grâce à leurs contours estompés, ces images semblent se fondre les unes dans les autres.

    Si les toiles de Keene sont figuratives, elles versent aussi dans l’abstraction, en ce que leurs motifs, comme des souvenirs, se superposent, ou alors se dissolvent dans leur environnement. Les œuvres d’art qui traitent de l’inconscient donnent parfois lieu à des scènes provocantes ou absurdes. Les œuvres de Keene font plutôt une offrande silencieuse : elles nous présentent l’étrange structure combinatoire de la mémoire et tentent humblement d’en amasser et d’en analyser les éléments constituants, tout en respectant la nature irréductible de l’inconscient. Il faut dire que Keene travaille avec subtilité et grâce, à l’image de Rembrandt.

    Mais revenons à Philip Guston. L’artiste croit aussi qu’en art, « la frustration est une bénédiction », alors que la « satisfaction ne mène à rien ». Bien sûr, le travail de Keene peut irriter les esprits cartésiens, avides de frontières et de limites bien définies. Mais contrairement aux œuvres qui, selon Guston, assouvissent « notre ennui grandissant », l’art à la fois insaisissable et omniprésent, vague et raisonné subsiste plus longtemps en nous, car il nous est impossible de le cerner parfaitement. Polyvalent, il est donc en perpétuel devenir. Keene m’a lui-même confié que « les éléments de confusion sont essentiels [dans son travail] ; c’est à cause d’eux qu’on parvient à ressentir quelque chose ». On pourrait dire la même chose de la mémoire. Ce qui résiste aux explications génère de l’affect, que ce soit chez cellui qui se remémore son passé ou chez cellui qui admire une œuvre d’art.

    Texte de Rosemary Georgia Flutur

    Traduit par Daphné B.

  • Max Keene est un artiste canadien. Son travail combine la peinture avec des matériaux photosensibles. Utilisant principalement l'aérographe, Keene mélange et obscurcit le langage visuel du quotidien. S'intéressant aux aperçus, aux rencontres fortuites et aux expériences décalées, son travail recherche une tension troublante entre le familier et le séduisant. La pratique de Keene examine notre culture visuelle contemporaine en s'intéressant à ce qui est affiché de ce qui est occulté. Son travail explore des caractéristiques visuelles oblitérées de notre quotidien et le simple plaisir de considérer ce qui n'est pas censé être considéré. Il a exposé a travers le Canada, tant en exposition de groupe qu'en solo.