Dress Parade

Artistes : Cristine Brache, Amy Bravo, Nadia Belerique, Trevor Bourke, Max Keene, Em Kettner, Gérald Lajoie, Fatine-Violette Sabiri, Brittany Shepherd, Corri-Lynn Tetz, Yelena Yemchuk
Dates : Du 24 mai au 5 juillet 2025
Vernissage : Samedi 24 mai, de 16 h à 19 h (présence des artistes)
Lieu : Pangée, 1305 ave des Pins Ouest, Montréal

  • L’un des procédés favoris de Shakespeare, la pièce dans la pièce, consiste en un scénario dans lequel les personnages d’une production théâtrale montent leur propre spectacle auquel nous, le public, assistons simultanément. En reprenant sa propre structure, la pièce dans la pièce fait participer le public à l’artifice théâtral, créant une mise en abyme dans laquelle – pour faire simple des propos de Shakespeare – le monde entier devient un théâtre. Dress Parade décortique ce célèbre adage afin d’explorer la relation entre les interprètes et le public, les gens qui observent et ceux qui sont observés, sur et hors de la scène. Cette troupe de onze artistes aborde les questions de la théâtralité et de la performance à travers la peinture, le dessin, la photographie et la sculpture. Les œuvres présentées sont à la fois sérieuses et humoristiques, entièrement surréaliste et complètement banales. Ensemble, elles proposent un coup d’œil derrière le rideau d’une production dans laquelle nous ne sommes que de simples acteurs et actrices.


    L’attrait du théâtre repose sur son habileté à transformer le fantasme en réalité, un principe articulé dans les œuvres de Fatine-Violette Sabiri et de Gérald Lajoie. Travaillant avec la photographie et la sculpture, les artistes trouvent de la magie dans les petits détails : une couronne faite de brindilles et de pièces de monnaie, une vision inattendue, une surprise dans la semelle d’une chaussure. Une qualité onirique semblable émerge dans le travail d’Amy Bravo, de Yelena Yemchuk et de Trevor Bourke, trois artistes dont les peintures semblent tirées des profondeurs de l’inconscient. Ici, le surréalisme prend le centre de la scène, dévoilant une distribution de personnages fantastiques : une créature hybride avec une tête humaine et un corps de poulet ; quelques meneuses de claque avec des cônes pointus attachés à leurs bras ; un interprète qui entrouvre le rideau pour regarder avec hésitation son public. Ces artistes nous permettent d’être aux premières loges d’un autre monde, de ces images et de ces anxiétés que nous apercevons uniquement en rêves ou imaginons sur scène. À travers leurs œuvres, nous en voyons les aspects absurdes, fantasques, stupéfiants ; nous rappelant que la vie consiste à s’asseoir et à profiter du spectacle.


    Comment réalisons-nous ce spectacle ? Quel travail est nécessaire pour arriver à la première ? Les décors doivent être construits ; les signaux-lumières élaborés ; les répliques répétées et mémorisées. Si la mise en place permet de définir le mouvement sur la scène, la scénographie en trace les contours et le corps est l’instrument qui donne vie à tout cela. La relation triangulaire entre l’espace, le mouvement et le corps est reproduite en miniature dans le travail de Max Keene, qui présente une série de maquettes parsemées de silhouettes réfléchissantes qui s’étirent d’un bout à l’autre de chaque pièce. Dans le même esprit, Brittany Shepherd, Cristine Brache et Corri-Lynn Tetz analysent la répétition de la performance physique à travers une série de portraits soigneusement réalisés. En utilisant le ballet comme un point de vue à partir duquel examiner les douleurs et les plaisirs de la performance féminine, Shepherd présente uniquement un fragment de ses sujets – un tibia couvert de bleus, des chaussons à pointes entrecroisés – pour diriger nos yeux avides vers l’action qui se déroule vraisemblablement hors de la scène, alors que les portraits flous de Tetz et de Brache, peints à partir d’images extraites de films et de photographies trouvées, évoquent la mélancolie doucement ravivée par les Playboys d’époque et Turner Classic Movies. Dans les trois cas, les artistes nous font nous demander qui est le sujet de chacune des peintures : la soliste de la compagnie, une drag queen amatrice ou une autre ingénue qui attend son gros plan.


    Dans toute bonne performance, l’élément théâtral est important, le clin d’œil et le signe de tête qui font comprendre au public que tout est imaginaire, une pièce dans une pièce. Sontag définit la théâtralité comme une sensibilité, une chose si sacrée qu’on ne peut la nommer. Ce précepte est exposé dans l’œuvre d’Em Kettner dont les tuiles de porcelaine émaillée, chacune encastrée dans un cadre de bois, représentent des personnages qui soit se dérobent au regard, soit se réjouissent d’être vu. Des portraits abandonnés de jeunes espoirs d’Hollywood se brouillent dans l’œuvre de Nadia Belerique qui combine ces photos trouvées à une sélection de monstres de Frankenstein. Avec leurs bouches et les yeux qui se chevauchent, ces acteurs et actrices en devenir se font réduire à une masse de caractéristiques indiscernables en attente d’appréciation, une image qui illustre notre propre désir de voir et d’être vu.


    Qu’est-ce qui distingue l’interprète du public ? Les artistes de Dress Parade suggèrent que la différence est une question de perspective, qui peut facilement être renversée grâce à la manipulation des matériaux, de la composition, de l’échelle et de l’éclairage. Dans le travail sculptural de Belerique qui accompagne ses portraits, l’artiste renverse le panneau rectangulaire d’une marquise, transformant la signalétique publique en miroir, le refuge privé de la salle d’habillage. Son périmètre est défini par les ampoules, mais dans ce miroir il n’y a pas de réflexion, seulement nos ombres déformées qui nous fixent, un monde autonome, une pièce dans une pièce.

    - Un texte de Cason Sharpe

Photos par Atlas documentation