Galerie des Glaces

Artiste : Grace Kalyta
Dates : Du 16 mars au 27 avril, 2024
Vernissage : samedi 16 mars, 16h – 19h (en présence de l’artiste)
Lieu : Pangée, 1305 ave des Pins O., Montréal

  • La poursuite d’inassouvissables désirs occupe une place centrale dans le travail de Grace Kalyta. Pour la plupart d’entre nous, convoiter un objet est plus alléchant et addictif que de le posséder. C’est le désir pour quelque chose de mieux, quelque chose pour remplir le vide — peut-être le chant d’une sirène —, qui nous fait baisser les yeux et scroller à l’infini sur tout ce qui s’étale à l’écran, alors que l’instant présent nous échappe. Certains objets nous arrachent pourtant à notre torpeur, au flou lassant du quotidien. Une capture d’écran plus loin et on se sent revivre. Le clic de la caméra retentit : avec la vitesse et la précision d’un chasseur, on prend en photo notre désir, puis on le sauvegarde pour une autre vie. Pleine de lucidité par rapport à sa condition contemporaine, Kalyta intègre ses errances numériques à ses toiles pour les sonder, en ce qu’elles constituent une expérience partagée et courante. L’artiste crée ainsi un fonds d’archives regorgeant d’images pixellisées, comme usées, des clichés de vêtements et d’objets anonymes, souvent en si piteux état que leur représentation lui semble plus convaincante que leur existence réelle. Ces images grand public, que tous fabriquent et consomment, nous permettent d’accéder au travail de Kalyta, qui dégage un côté enfantin, voire même girly, mais qui nous force aussi à plonger dans l’univers oppressant des marchandises, un monde dans lequel le vernis et l’éblouissant chatoiement des paillettes et des bijoux nous aveuglent stratégiquement.

    En rognant ses images de façon improbable et en les cadrant de biais, Kalyta nous oblige à fourrer notre nez dans les plis des matériaux qu’elle peint : elle engage ainsi tous nos sens. Si on est frappé par la sauvagerie et la désobéissance qui caractérisent sa démarche, il suffit de s’approcher de ses toiles pour s’apercevoir qu’elles sont dénuées de la fraîcheur et du parfum sophistiqués de la soie, qu’elles n’ont rien en commun avec les pierres précieuses. Elles sentent plutôt la survie et la sueur, revêtent l’allure spectrale de l’épuisement, cette usure que l’on troque contre l’abondance capitaliste. En investissant les surfaces, les fausses et les vraies, celles qui sont laquées, en satin, en métal, en fourrure, en cristaux et en perles, Kalyta fusionne le physique à l’immatériel. Elle tisse une toile complexe qui relie la poursuite tortueuse de la distinction et de l’ascension sociale par le truchement des paillettes et du bling à la relation entre diverses économies et écologies. Même si le monde des objets brillants nous semble joyeux et inoffensif, il fait partie intégrante de nos constructions identitaires et d’industries qui, tout en nous faisant croire à un progrès optimiste, saturent nos dépotoirs de leurs excès et de leurs déchets. L’opulence nous distrait de l’imminente catastrophe et Kalyta le sait. Elle cloue ses toiles, les embosse et les perce de simili-cuir, de strass, de bibelots ou d’objets trouvés ; recouvre l’illusion d’abondance et ses mirages d’une couche supplémentaire de paillettes. Elle veut que l’éclat d’un objet nous arrête, qu’un soupçon d’allégresse nous atteigne et apaise nos angoisses, tout en attisant notre désir.

    — Texte de Michelle Bui
    Traduction Daphné B.

  • Grace Kalyta (née en 1991, Territoire du Traité no 1, Manitoba) est une artiste basée à Tiohtià:ke/Montréal dont le travail explore les quêtes et les performances relatives à l'abondance dans l'auto-design, l'ornement et le spectacle. Kalyta glane des images sur le web via des espaces en ligne dédiés à la circulation rapide d'objets et de matériaux, recadrant et agrandissant celles-ci afin de créer de nouvelles compositions confrontantes. Via la réinterprétation d’images et d'éléments décoratifs trouvés, Kalyta provoque des dichotomies au niveau des systèmes de classe et de valeur, de séduction et de splendeur, ainsi que dans la perception et la représentation de l'auto-réalisation matérielle.

    Kalyta a obtenu un baccalauréat en beaux-arts en 2018 avec mention de l'Université Concordia et est actuellement candidate à la maîtrise en beaux-arts à l'Université Concordia. Kalyta a participé à des résidences en Islande (Nes Residency, 2021) et en Grèce (faveLAB, 2019). Elle a récemment exposée à : Maskenfreiheit (2023) à Margot Samel, New York ; Foultitude (2023) à Projet Casa, Montréal ; Sans titre (2023) à la Galerie Cache, Montréal ; Spaghetti Western (2022) au GHAM & DAFE, Montréal ; Opið Hùs (2021) Skagaströnd, Islande ; Privé (2020), Montréal ; Textile Quintet (2019) à Pirgos Tsikaliotis, Leonidio, Grèce, Pulse (2018), Eastern Bloc, Montréal.