Swan Song

Artistes: Shary Boyle (Toronto), Delphine Hennelly (Brooklyn), Annelie McKenzie (Los Angeles) + Claire Milbrath (Montréal)
Vernissage: Jeudi 27 février, 17h30 à 20h30
Exposition: Du 27 février au 4 avril, 2020

C’est avec un immense plaisir que Projet Pangée présente Chant du cygne, une exposition réunissant les œuvres de Shary Boyle, Delphine Hennelly, Annelie McKenzie et Claire Milbrath. S’intéressant à l’exubérance et à la théâtralité, à la frivolité du style baroque et à celle de son cousin extravagant, le rococo, cette exposition fait écho à notre temps, grâce à l’illusion soutenue d’abondance, illusion exacerbée par la certitude d’un déclin inévitable. Ayant pour motifs l’excès et les rêves clinquants, Chant du cygne aborde la complaisance destructrice qui a marqué l’histoire et qui marque aussi notre présent — ce qui mûrit jusqu’à la pourriture métaphorise la fuite et l’évitement, mettant en lumière la dichotomie de notre époque.

Dans Black Gold [Or noir], un tableau à la gouache de Shary Boyle (Toronto, Canada), un personnage surréaliste à moitié vêtu exsude d’une fontaine à punch remplie de pétrole. Le dessin de Boyle, ayant pour arrière-plan un coucher de soleil grandiose que seul le smog saurait peut-être magnifier, offre un spectacle à la fois triste et séduisant. Il oblige le public à jongler entre son voyeurisme et son impuissance à agir. Si Boyle est particulièrement douée pour réinterpréter les allégories de l’épineuse condition humaine, son talent se fait manifeste dans sa sculpture Sisyphus [Sisyphe]: ici, une figurine en céramique noire transporte dans une brouette une tour de dentelle en porcelaine, d’une impossible fragilité. La charrette en grès vacille, instable, alors que la porteuse traîne son fardeau, à la poursuite d’un but incertain et de nature délicate. Explorant à sa façon l’excès ornemental, Annelie McKenzie (Los Angeles, É.-U.) propose une série de tableaux peints sur des sacs à main d’occasion. L’artiste distancie ainsi son travail de l’art figuratif, un style conventionnel dominé par les hommes, pour investir la zone féminisée de l’artisanat. À l’aide de couches de peinture incrustées de débris brillants, de pompons, de dentelle, d’autocollants et de paillettes, McKenzie confère une troisième dimension aux peintures classiques. Elle les altère avec ferveur pour en faire des réinterprétations grumeleuses et jubilatoires, qui parodient les œuvres des grands maîtres. Si l’œuvre de McKenzie, plus particulièrement l’imagerie qu’elle s’approprie, renvoie aux artistes masculins, ses titres à l’humour tranchant comme Defensive Nymph Capsule (after Angelica Kauffmann) [Capsule de protection pour nymphe (d’après Angelica Kauffmann)], Women’s Tricks on Painted Beads [Prostituées au travail sur perles peintes] ou encore Jeans Purse Forcefield for Birthing (after Diana Mantuana) [Sacoche en jeans - Champ de force pour accoucher (d’après Diana Mantuana)], relient délibérément de façon erronée les tableaux aux filles de ces hommes, à leur femme, ou encore à des artistes femmes de la même période. La série de McKenzie nous rappelle nos biais inconscients en investissant une zone limitrophe, riche en réflexions, un espace où l’œuvre ne rejette ni ne célèbre la construction du féminin, mais oscille plutôt dans un entre-deux.

Dans l’œuvre de Delphine Hennelly (Brooklyn, É.-U.) comme celle de Claire Milbrath (Montréal, Canada), l’iconographie du XVIIIe siècle sert de point focal. En plus de son alter ego, Poor Gray, on compte maintenant parmi la plus récente série de tableaux de Milbrath un groupe de bichons frisés duveteux et joueurs. Revisitant la célèbre toile de Jean-Honoré Fragonard, Hasards heureux de l'escarpolette (1767), ainsi qu’une variante de La Gimblette (La Gimblette version de Munich, vers 1770), Milbrath remplace la figure emblématique de la jeune fille par son personnage androgyne. Pour l’artiste, le fait d’éliminer le corps sexualisé de la femme permet de libérer sa pratique des rôles hiérarchiques de genre. Éprouvant un penchant pour l’hédonisme et l’érotisme, Milbrath tire profit du plaisir pour ébranler les normes de genre. Delphine Hennelly, quant à elle, exploite le motif omniprésent du couple et du chien, ou encore, du couple se faisant la cour. Elle transforme ses personnages pour en faire les acteurs d’une vie banale, interprétant des rôles archétypaux. Légèrement déguisés et baignant dans le bonheur conjugal, ces derniers vagabondent sur une scène aux décors bucoliques, un paysage idyllique qui frise la dystopie, tout en paraissant ignorer la tempête imminente que suggèrent pourtant les jaunes acides et les orangés enflammés du ciel. Hennelly, qui travaille souvent la série, propose des tableaux que rythment de légères variations et dont les motifs répétés rappellent le glitch, le lenticulaire ou le pixellisé. S’ils se désintègrent lentement, c’est pour laisser place au sentiment qu’un bouleversement se prépare — une anxiété généreusement dissimulée sous une bonne dose de couleurs doucereuses.

— Traduction par Daphné B.

Biographies

Shary Boyle (Toronto, Canada) exploite une variété de techniques, notamment la sculpture, le dessin, l’installation et la performance. Dans son travail, elle emprunte à l’histoire sociale des figurines en céramique, aux mythologies animistes et à l’art populaire afin de créer un langage symbolique, féministe et politicisé qui lui est propre. En 2017, ses sculptures ont été exposées à la Biennale internationale de la céramique de Gyeonggi, en Corée du Sud, et dans le livre Vitamin C : Clay and Ceramic in Contemporary Art, publié par Phaidon, en Angleterre. Elle a représenté le Canada avec son projet Music for Silence [Musique pour le silence] à la 55e Biennale de Venise, en 2013. Son œuvre sera au cœur d’une exposition solo majeure dans un musée canadien, en février 2021.
Presse récente
New Yorker : « Dark Spring » par Johanna Fateman
Le Devoir : « Terriens : des rêves en porcelaine, justes et équitables » par Jérôme Delgado
Globe and Mail : « Shary Boyle's quest for useful art » par Robert Everette-Green

Delphine Hennelly (Brooklyn, É.-U.) a obtenu son baccalauréat en beaux-arts de la Cooper Union en 2002, puis elle a complété sa maîtrise en beaux-arts à la Mason Gross School of the Visual Arts, à l’université Rutgers, au New Jersey, en 2017. Peintre, dessinatrice et graveuse occasionnelle, Hennelly explore principalement la représentation figurative avec le corps féminin. On lui a décerné trois fois la bourse de la Fondation Elizabeth Greenshields. Parmi ses plus récentes expositions, on compte une exposition solo à la Pt.2 Gallery (Oakland, É.-U.), une exposition collective organisée par James English Leary à la Lisa Kandlhofer Gallery (Vienne, Autriche) et une exposition en duo avec Mimi Jung à Carvalho Park (New York, É.-U.)
Presse récente
Editorial Magazine : « Delphine Hennelly's Wandering Players » par Rebecca Storm
Two Coats of Paint : «Interview : Delphine Hennelly at Caravalho Park » par Sangram Majumdar
ArtMaze Mag : « Tapestries, with horizontal and intersecting painted lines... » par Christina Nafziger

Annelie McKenzie (Los Angeles, É.-U.) a obtenu sa maîtrise en beaux-arts de l’université d’État de Californie, à Long Beach, en 2013 et son baccalauréat en beaux-arts à l’Université de Calgary, en 1997. On pourrait utiliser le mot « restes » pour décrire à la fois le sujet de son œuvre et la technique qu’elle privilégie. McKenzie traque les artistes qui sont resté·es derrières, les grand·es oublié·es de l’histoire, pour ensuite faire référence à leur travail dans des interprétations libres de leurs œuvres, en utilisant des restes de peinture. Annelie McKenzie a exposé à la Fisher Parrish Gallery (New York, É.-U.), au Contemporary Calgary (Calgary, Canada), au Torrance Art Museum (Torrance, É.-U.), au VENUS LA (Los Angeles, É.-U.) et à d’autres endroits à travers les États-Unis et le Canada.
Presse récente
New American Paintings : « Play, Shuffle, Repeat: Annelie McKenzie » par Jason Ramos
Portland Mercury : « Froot Loops » par Megan Burbank
Contemporary Art Review LA : « Fort Greene at Venus LA » par Claire de Dobay Rifelj

Claire Milbrath (Montréal, Canada) est une artiste autodidacte qui pratique la peinture, la couture et le dessin. Elle adopte un style artistique qui rappelle les peintres naïfs comme Henri Rousseau et Maud Lewis, et incorpore à son oeuvre de larges bandes de couleurs luxuriantes, qui lui servent à échafauder sa composition picturale. Milbrath renouvelle la tradition coloristique en insérant dans son travail des vignettes sur l’amour à sens unique, les fantasmes sexuels et l’innocence de l’enfance. Elle a diligemment présenté son travail dans les dernières années, autant en solo qu’au sein d’expositions collectives. Ses plus récentes expositions ont eu lieu à la galerie Steve Turner (Los Angeles, É.-U.), la galerie Marie-Laure Fleisch (Bruxelles, Belgique) et à la galerie The Hole (New York, É.-U.). Elle est l’éditrice en chef et la fondatrice du Editorial Magazine.
Presse récente
Never Apart : « Claire Milbrath's paintings exude naivety and charm »
CBC Arts : « Fed up with how women are portrayed, this Montreal artist started painting...men? » par Leah Collins
It's Nice That : « The wonky but lovely perspective of Editorial Mag editor Claire Milbrath’s paintings » par Lucy Bourton