À mon seul désir

Artiste : Rose Nestler
Dates : Du 23 septembre au 4 novembre 2023
Vernissage : 23 septembre, 16h – 19h (en présence de l’artiste)
Lieu : Pangée, 1305 ave des Pins O., Montréal

  • La trajectoire d’Éros est toujours la même, écrit la poète Anne Carson. Sa flèche nous transperce, elle nous troue. Et la plupart des poèmes d’amour ne parlent pas de l’être aimé; ils parlent de ce trou.

    Dans l’exposition de Rose Nestler, le désir creuse une ouverture plutôt qu’une béance. C’est un orifice envoûtant, le portail d’une maison de poupée. C’est aussi un rideau qu’on écarte, le pistil d’une fleur de cuir ou encore le vagin d’une femme accusée de sorcellerie. Car on raconte que durant l’Inquisition, les sorcières se sont masturbées avec leur manche à balai après les avoir enduits d’onguents psychotropes. C’est donc comme ça qu’elles ont réussi à voler, en plantant le symbole de la domesticité entre leurs cuisses.

    Et si on pénètre dans l’orifice du désir, on arrive à l’intérieur d’une sacoche. Version cartoonifiée de l’utérus, l’objet de luxe fait écho aux nids d’oiseaux. Les sacs à main de Rose Nestler sont d’ailleurs parés d’œufs frits qui se répandent doucement à leur surface. Comme le jaune des œufs, le désir est runny, fuyant. On n’arrive jamais à le cueillir; il ressemble à la pomme rouge qui nous nargue du haut de sa branche inaccessible.

    Selon la poète Cecilia Pavon, il y aurait autant de désirs que de formes : « des désirs carrés, en flèches, ronds, triangulaires, pointus, anguleux, verticaux, défaits, inanimés ». Il y a même des désirs qui échouent dans leur course, comme par exemple cette corne de licorne en pierre flasque, sorte de talon aiguille brisé.

    L’exposition À mon seul désir a tout à voir avec la créature mythique, car Nestler a puisé une partie de son inspiration dans une célèbre tenture, La Dame à la licorne. La tapisserie du début du XIVe siècle est une énigme, en ce qu’elle contient une devise mystérieuse qui surplombe une licorne, un lion, une demoiselle et une tente bleue : « Mon seul désir ». Mais quel est donc ce désir unique ?

    Si on tente de décoder le tableau, c’est à notre propre énigme qu’on est renvoyé·es. Que désirons-nous  ? Pourquoi créons-nous ? Ce sont là des questions épineuses auxquelles une pensée utilitariste aurait tort de répondre. Car lorsqu’on sonde ses désirs, c’est de la mort qu’il faut s’approcher.

    Et c’est pourquoi la mort imprègne le travail de Nestler. Les fleurs qu’elle nous offre à voir sont donc en cuir, une matière macabre. Or, leur chair morte est si colorée qu’on la croirait vivante. Et c’est précisément dans cet espace où la vie et la mort se confondent que Nestler fait advenir l’érotisme, force sans égale qui traverse toute son œuvre et qui lui donne sa singularité.

    Car Nestler a compris que le désir est d’abord une question comme un tunnel qui nous relie à la mort, ce monde secret.

    Texte de Daphné B.

  • Rose Nestler (née en 1983 à Spokane, WA) vit et travaille à Brooklyn, NY. Elle est titulaire d'une maîtrise en beaux-arts du Brooklyn College et d'une licence en histoire de l'art du Mount Holyoke College. À travers ses sculptures et ses vidéos, à la fois frappantes et comiques, l'artiste basée à Brooklyn rend explicite le pouvoir qui réside dans la matérialité combinée des textiles, de la pierre, du bois, de la silicone et du métal. En jouant avec l'échelle, la couleur, les langages de la sexualité et l'humour, et en associant des techniques de couture artisanales à des canons historiques, Nestler subvertit notre lecture de l'histoire de l'art et du rôle donné aux femmes. En réinterprétant ainsi des objets chargés de sens en sculptures, Nestler réimagine les narratives et nous libère des carcans, en s'attaquant à l'enchevêtrement du genre et de l'histoire.

    Nestler a exposé aux États-Unis et à l'étranger, notamment à Mrs, Maspeth, NY ; Public Gallery, Londres, Royaume-Uni ; König Galerie, Berlin, Allemagne ; Newchild, Anvers, Belgique ; Pangée, Montréal, QC, Canada ; BRIC, Brooklyn, NY ; Hesse Flatow et Perrotin, New York, NY. Elle a été artiste en résidence au Joan Mitchell Center de la Nouvelle-Orléans en 2022. Nestler a également effectué des résidences au Fores Project, à Londres, au Royaume-Uni, et au Lighthouse Works, à Fishers Island, dans l'État de New York, entre autres. Son travail a été présenté dans le Brooklyn Rail, Art 21, BOMB magazine, Hyperallergic, The Art Newspaper, Artnet et New York Magazine. Nestler est représentée par Mrs. à New York et Public à Londres, au Royaume-Uni.