















Futur Futuriste
Artistes : Lauren Pelc-McArthur (Montréal/Toronto), Amy Brener (New York) et Cat Bluemke (Chicago)
Exposition : du 14 janvier au 18 février 2017
Photos d'installation : Jean-Michael Seminaro
Au-delà du post-numérique par Otino Corsano (traduction française d'Emmanuelle Bouet)
Selon les prévisions, plus de la moitié de la population mondiale aura accès à Internet en 2017.[1] Cette généralisation de l’information à grande vitesse accélère les processus d’archivage et de production numériques, mais aussi la collecte d’informations personnelles. En même temps, l’idée que ces nouveaux processus numériques vont améliorer la condition humaine est devenue tristement obsolète. Bien au contraire, les internautes ont été piétinés, voire traînés dans les pires horreurs baroques qui peuvent se dissimuler dans les recoins et les ramifications de la culture numérique. L’accès à cette nouvelle version remastérisée de la boîte de Pandore déjoue même le plus habile des censeurs ; le prix de cette liberté illimitée est la perte de l’authenticité et notamment du tact. Rappelons-nous les promesses d’ordre et d’harmonie (qui ne sont pas sans évoquer celles de la Renaissance) alignées selon une parfaite grille virtuelle. Le numérique a toujours été vendu sous l’étiquette de la facilité : l’égalitarisme moderniste serait enfin atteint via un processus accessible à chaque individu. Tout devient disponible, il suffit d’appuyer sur une touche. Or le numérique mine résolument et sans remords notre tendance instinctive à réfléchir à nos choix. Notre naïveté s’est perdue en route. Nous ne savons maintenant que trop bien à quel point l’ère du numérique compact est un mensonge de Big Brother.
Aujourd’hui, le post-numérique se préoccupe surtout de limiter les dommages. Le monde de l’art en déni, malgré l’hémorragie suscitée par le cheval de Troie que représente ce dernier changement de format, est encore engagé dans une vaine lutte pour se dégager d’un contrat qu’il n’a jamais accepté de signer. La liste des faux espoirs est longue, et l’escroquerie commence avec le bonus promis à la signature : ni les artistes, ni les marchands d’art ne récupèreront jamais leur investissement financier dans la mise en ligne des œuvres et les coûts de marketing. Ces fonds servent uniquement à alimenter le royaume virtuel, qui éloigne plus encore tous les protagonistes à la fois de l’art sous sa forme véritable, et de l’action concrète de l’achat. Le public consomme désormais l’art à distance, le pixel devenant le principal agent de nivellement censé combler le fossé entre le « grand art » et l’art « populaire ». Le grand art ? Il y a de quoi sourire. Pourquoi un commentateur virtuel de contenu artistique mettrait-il désormais les pieds dans une galerie, puisque les JPEG et autres PDF sont désormais à portée de sa Dropbox ? Le numérique n’est pas une simple forme d’archivage, et il n’a jamais pu prétendre à l’autonomie. Le contenu disparaît au gré des caprices du développeur, dont les mises à jour entraînent simultanément l’obsolescence de ses propres systèmes. Les économies fragiles en souffrent. Prenons un moment pour comparer le coût d’une œuvre produite par un artiste émergent et celui d’un téléphone cellulaire, puis leurs plans de paiement respectifs. LOL, là encore. Cet univers numérique est le schéma pyramidal le plus impitoyable construit depuis Giza – pixel par iPhone.
Le désir d’échapper à cette situation sans issue est grand, et le post-numérique fait tristement office de sédatif idéal pour nos envies d’évasion. La plupart des gens souhaitent initier un changement positif au sein de leur communauté ; mais mettez en balance le travail concret qui est nécessaire à l’obtention d’un bénéfice quelconque dans la vraie vie, et la capacité virtuelle à perpétuer l’illusion d’une amélioration sociale. Pour alléger son angoisse, on regarde vers le passé avec des lunettes roses et on rêve de ressusciter les pratiques d’antan. Comment les artistes peuvent-ils travailler dans la communauté, et prendre en considération des dilemmes environnementaux, mondiaux et politiques très réels, lorsque tout accès à ces champs d’investigation est désormais parfaitement contrôlé par les systèmes de pouvoir informatiques et commerciaux ?
Cependant cette nostalgie esthétique autorise, même momentanément, un retour aux scénarios et stratégies pré-numériques. Et c’est une première étape vers la réappropriation de ce que le post-numérique nous a fait perdre. Il est toujours recommandé de faire une copie de sauvegarde des œuvres avant de les mettre en ligne sur un nouveau serveur. Le retour vers le futur nécessite un voyage dans le temps – à des fins de protection, de préservation mais aussi, simplement, pour envisager de nouveaux modes d’implication artistique. Tout comme Ivan Karp, dans son article « RENT IS THE ONLY REALITY: or The Hotel Instead of The Hymn »[2], abordait l’image en tant que source d’information virtuelle pour les peintres réalistes radicaux, de nouveaux mouvements artistiques au-delà du post-numérique souhaitent extraire l’image de la matrice numérique pour la réinsérer dans le réel – ou du moins l’extraire de la carte-mère, afin de la réinstaller dans l’espace concret de la galerie.
Au-delà du post-numérique s’étend en effet notre « Futur futuriste ». Lauren Pelc-McArthur, Amy Brener et Cat Bluemke s’efforcent de créer de nouveaux sentiers exploratoires en prenant, comme point de départ, ce qui existait avant que la situation échappe à notre contrôle. Laissant de côté le grand bond en avant qui nous a été promis, ces artistes font courageusement quelques pas en arrière, pour s’éloigner des fausses vérités qui nous attendent chaque jour sur nos écrans numériques.
Les « Normal Paintings » de Lauren Pelc-McArthur diffèrent fondamentalement de ses œuvres numériques. Premièrement, ces acryliques sur toile possèdent des dimensions, et s’opposent ainsi littéralement aux évasives « Dimensions variables » de leurs jumeaux délinquants – pixellisés, texturisés, acoquinés avec des images de synthèse. Ses surfaces blanches travaillées au gesso, à la manière d’un Robert Ryman, sont ensuite nimbées de brumes colorées, dont la subtilité chromatique crée un effet fluorescent d’une merveilleuse complexité. Le résultat, aussi concret soit-il, présente une richesse chimique et une profondeur microscopique qui ferait demander grâce à n’importe quel écran Retina, et qui font penser aux maniérismes décrits par Jonathan Griffin dans son article « Spray »[3]. James Turrell n’a jamais souhaité que ses expérimentations avec la lumière servent à produire une vidéo de musique.[4]
Les sculptures d’Amy Brener semblent issues d’un croisement entre des vieux disques de Tony Sherman et des appareils de musculation à la Matthew Barney, tout en évoquant des plantes carnivores. La lave de son matériau a été moulée autour de poches gonflées d’air les moins biodégradables possibles. Au passage, ces sculptures ont capturé les plus délicates traces organiques trouvées dans la peau de ces nouveaux Houdinis échappés d’un Second Life virtuel ou d’un Pompéi moderne. Les costumes de science-fiction qui émergent de ce processus semblent promettre pouvoir et protection contre les désastres écologiques à venir.
Lorsque Cat Bluemke n’est pas occupée à ridiculiser les effets déshumanisants de la technologie, elle passe apparemment son temps libre à sauver des icônes du canon de l’histoire de l’art. Bluemke place ces trésors dans un nouveau contexte, et il ne s’agit pas ici du médium introverti des selfies d’Instagram. L’artiste utilise la lumière sous une forme plus classique, et cet art « augmenté » est accessible à tous, sans qu’il soit nécessaire de s’affubler d’un casque de « réalité virtuelle ». Notre héros réincarné en hologramme est prêt à combattre les géants de la technologie. David lui-même peut devenir votre allié.[5]
L’art post post-numérique s’inscrit dans la continuité d’une production qui enrichit la condition humaine. Il représente une affirmation à l’adresse des spectateurs, et s’avère gratifiant pour les artistes de façon très tangible. Dans l’esprit de Michael Fried critiquant la « théâtralité » de l’art moderne, l’œuvre d’art qui parvient à contourner le post-numérique crée une distinction nécessaire entre l’expérience numérique d’une œuvre et l’objet d’art proprement dit, tout en prenant en compte la fonction pratique de l’art. Sans négliger ou abandonner les processus ou formats numériques (tâche impossible d’ailleurs), l’art post post-numérique privilégie le lien entre esthétique et intention, qu’il manifeste sous une forme concrète. Il ne dépend d’aucune plateforme externe. Sa mission pourrait bien être d’éclairer le contexte actuel, voire d’amener des changements positifs, économiques, environnementaux et sociaux.
Le travail de ces trois artistes nous invite à imaginer la véritable survie de l’art au-delà des limitations et de la problématique de l’expérience numérique. Ce « Futur futuriste » présente des solutions optimistes à l’éternel Rubik’s cube de l’art. L’exercice a le mérite de nous faire sortir de la Caverne de Platon, nous permettant ainsi d’envisager ensemble des solutions concrètes pour revendiquer, récupérer et réhabiliter l’art au-delà du post-numérique.
Biographies
Cat Bluemke (née en 1993 à Meaford) poursuit sa maîtrise en beaux-arts à la School of the Art Institute of Chicago, dans le département du Design for Emerging Technologies. La pratique interdisciplinaire de Cat Bluemke explore l’impact de la technologie sur les systèmes sociaux et leurs investissements culturels afférents. Elle travaille à la fois seule et en collaboration au sein de Tough Guy Mountain, un nouveau collectif œuvrant dans le domaine des médias et de la communication, qui adopte les pratiques de l’entreprise en tant que médium artistique. Son travail a été exposé aux GRIN Galleries (Providence), The Power Plant (Toronto), Art Gallery of Ontario (Toronto), Neubacher Shore (Toronto), Whippersnapper Gallery (Toronto) et bientôt à 2nd Floor Rear (Chicago). Des commissions notables incluent la Art Gallery of Ontario pour Art Toronto 2015 et l' Imagination Catalyst de l'Université OCAD. Bluemke a reçu plusieurs récompenses, dont la bourseOCADU Alfred Vivash et la SAIC’s New Artists Society Scholarship. Elle vit et travaille à Chicago.
Amy Brener (née en 1982 à Victoria) vit et travaille à New York. Ses sculptures en résine grand format ont notamment été présentées avec les œuvres d’artistes du Greater New York au MoMA PS1 à New York. Son travail a été exposé au niveau international par des galeries et des institutions comme Galerie Pact à Paris, Wentrup Gallery à Berlin, Derek Eller Gallery et le Katonah Museum of Art à New York, et Susan Hobbs Gallery à Toronto. Brener est récipiendaire de la bourse NYFA Fellowship for Crafts/Sculpture 2015. Titulaire d’une maîtrise en beaux-arts du Hunter College obtenue en 2010, Brener a également suivi les cours de la Skowegan School of Painting and Sculpture en 2011.
Lauren Pelc-McArthur (née en 1989) est une artiste torontoise travaillant à Montréal. Sa pratique en arts visuels aborde, via la peinture et l’animation 3-D, divers aspects de la culture de la technologie et de l’information. Pelc-McArthur a exposé son travail au niveau international. Elle a participé à des résidences au Canada, à l’étranger et en ligne. Elle a reçu plusieurs récompenses, dont des bourses du Conseil des arts de l’Ontario et du Toronto Arts Council. Pelc-McArthur termine actuellement sa maîtrise en beaux-arts à l’Université Concordia.
Presse (exposition)
Canadian Art - Must-Sees : http://canadianart.ca/must-sees/must-sees-week-january-12-18-2017/
McGill Tribune : http://www.mcgilltribune.com/a-e/interpreting-reality-digital-age-356408/
The Concordian : http://theconcordian.com/2017/01/explore-art-in-a-futuristic-future/
The Belgo Report : http://www.thebelgoreport.com/2017/02/futuristic-future-at-projet-pangee/
[1] "Number of Internet Users (2016)" Internet Live Stats. 1 juillet 2016. Accédé le 27 décembre 2016. http://www.internetlivestats.com
[2] Karp, Ivan. "RENT IS THE ONLY REALITY: or The Hotel Instead of The Hymn" Arts Magazine, Décembre 1972/Janvier 1972, 47-51.
[3] Griffin, Jonathan. "Spray." Jonathangriffin.org. 27 avril 2016. Accédé le 27 décembre 2016. https://jonathangriffin.org/2016/04/27/spray/. Premièrement publié: Art Los Angeles Reader, Janvier 2016.
[4] Zaretsky, Donn. "What a Time to Be Alive." The Art Law Blog. 21 octobre 2015. Accédé le 27 décembre 2016. http://theartlawblog.blogspot.ca/2015/10/what-time-to-be-alive.html
[5] "Rentals in Florence - Airbnb." Www.airbnb.ca. Accédé le 27 décembre 2016. https://www.airbnb.ca/stay/florence-villa-rentals?locale=en