Peintures, 2000-2008
Artiste : Pierre Dorion
Dates : Du 18 septembre au 1er novembre 2025
Vernissage : jeudi le 18 septembre, de 16h à 19h
Lieu : espaces Atelier & Le Trou, Pangée, 1305 ave des Pins Ouest, Montreal
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Peintures 2000-2008
Dans la lumière tardive de l’été, son atelier encore imprégné de chaleur, Pierre Dorion retrace avec moi sa pratique et les lieux qui l’ont façonnée. Après avoir longtemps occupé un atelier rue Atataken, puis un grand loft new-yorkais sur Wooster Street, cet espace de la rue Saint-Christophe est son ancrage depuis vingt et un ans. Les œuvres rassemblées aujourd’hui réactivent cette mémoire des lieux : certaines furent montrées chez René Blouin, d’autres n’ont jamais quitté l’atelier. Elles se retrouvent réunies chez Pangée, située à quelques pas du Mont-Royal où fut prise la photographie d’un arbre brisé, image charnière entre deux séries et moment de transition dans la vie de l’artiste.
L’exposition met en dialogue deux ensembles de travaux réalisés entre 2000 et 2008. Les Empreintes (2000-2002), inédites jusqu’à ce jour, se distinguent par leur approche expérimentale, entre forme organique, dégradé et recherche d’effets chromatiques accidentels. À travers elles, Pierre explore un rapport plus libre à la peinture, sans volonté de produire une image définie, mais en acceptant la surface comme champ d’expérimentation. Ces toiles, issues d’un travail à la spatule, témoignent d’un rapport plus brut au médium, où la trace, l’arrêt du geste et l’accident sont assumés comme constituants de l’image. Inspirées par Gerhard Richter mais investies d’une dimension spirituelle, elles se situent à la frontière du conscient et de l’inconscient, de la volonté et du lâcher-prise.
En contrepoint, les Bandes chromatiques (2004-2008) obéissent à un protocole rigoureux que Pierre nomme son «système». Chaque bande correspond aux réserves de peinture accumulées au fil des toiles figuratives: si la matière est abondante, la bande s’élargit; si elle est rare, elle se resserre. De ces décisions strictement chromatiques émerge une vibration lumineuse qui, affranchie de toute rigidité formaliste, rappelle la sensibilité des plasticiens tout en évoquant les expérimentations perceptuelles de Robert Irwin. Ces œuvres, bien que conceptuelles dans leur mise en place, gardent la matérialité et l’épaisseur de la peinture, leur fondu et leurs accidents, prolongeant en parallèle la rigueur des tableaux architecturaux pour lesquels Pierre est reconnu.
Entre ces deux pôles de la liberté organique des Empreintes et la discipline des Bandes chromatiques, apparaît un petit tableau figuratif, Broken Tree (Mont-Royal). Capturé après un accident, ce fragment de paysage agit comme un seuil, reliant l’espace de l’atelier à celui de la galerie. Ici, l’image devient relais entre le passé et le présent, entre le figuratif et l’abstrait, entre l’expérience intime et l’inscription dans une histoire picturale plus vaste.
Peintures 2000-2008, pensé comme une installation linéaire et rythmique, met en évidence le dialogue entre deux pratiques parallèles. L’artiste ponctue l’ensemble de tableaux plus marginaux, séries en miroir ou variations monochromes qui rappellent que sa démarche n’est pas seulement celle d’un peintre d’images, mais aussi d’un chercheur des conditions mêmes de la peinture. Ces œuvres sont moins des représentations que des présences: elles portent la mémoire d’un geste arrêté, d’une énergie transmise, d’un temps cristallisé en surface. De cette exposition, Pierre souhaite avant tout la rencontre de ces univers contrastés, la tension productive entre rigueur et accident, système et intuition. Non pas un retour nostalgique mais un moment de réactivation, où des traces du passé retrouvent une actualité brûlante dans le lieu même qui les accueille. Alors que je quitte l’atelier, la lumière déclinante d’août semble retenir, un instant encore, le fil de notre conversation.
- Texte de Erika Del Vecchio
Photos par Atlas documentation