Pluck
Artistes : Greg Carideo, Plum Cloutman, Katelyn Eichwald, Bronson Smillie
Dates : Du 12 septembre - 2 novembre, 2024
Vernissage : jeudi 12 septembre, 16h – 20h
Lieu : Pangée, 1305 ave des Pins O., Montréal
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Les œuvres de Pluck partagent un langage; elles laissent entrevoir l’artiste en train de se saisir de quelque chose et permettent ainsi d’accéder à une part de son intimité cachée. Les nouvelles créations de Greg Carideo, Katelyn Eichwald, Plum Cloutman et Bronson Smillie nous invitent à lever le voile sur un objet, une scène ou un sentiment. Ces œuvres nous encouragent à regarder par-dessus l’épaule de leur artiste, de repérer ce qui a été caché au tableau. Elles évoquent ce choix que sous-tend le regard quand il se saisit d’un motif, d’un moment ou d’un état d’esprit — et qu’il y plonge.
L’attention (et la sensibilité) aux détails, fruit d’un travail minutieux ou d’une simple intuition, fait de chaque œuvre un récit personnel. Ainsi, dans SRM de Carideo, un talon abandonné s’imbrique à une armature en forme d’auvent, comme un chakra du cœur. L’objet a été choisi parmi les centaines de talons que l’artiste a collection- nés au cours des années. Il évoque les marches entreprises par Carideo dans les no man’s land urbains et ruraux afin de récolter des vêtements et des tissus aban- donnés que l’artiste lave et réutilise dans ses structures d’acier soudé, temples faits à la main pour abriter des objets (re)découverts.
Les peintures à l’huile sur toile de jute d’Eichwald évoquent aussi des enjeux reliés au processus de sélection. Ses images délavées de mûres mûrissantes, de pélicans en train de nager, de colliers ornés de croix et de cimetière brumeux, dépeignent des moments d’un calme inquiétant, antépisodes ou postludes, peut-être, à l’horreur banlieusarde. L’idée du groupe ponctue les compositions d’Eichwald et souligne la vulnérabilité individuelle — quelle baie sera cueillie ? Quel pélican s’ensanglantera pour nourrir son petit, à l’image des allégories chrétiennes vampiriques ? Quels choix ont conduit l’artiste à entretenir de telles obsessions ?
Les toiles denses de Cloutman, réalisées dans un style « impasto », reflètent la manière dont le choix d’un contexte particulier (dans ce cas, des espaces domes- tiques) peut venir bouleverser la cohérence que suppose un certain enfermement. Les compositions mettent en scène la rencontre suréelle entre des humains et des objets domestiques animés. En observant Forgotten Sauce/La sauce oubliée, une toile dans laquelle une cuisinière laissée sans surveillance s’enflamme dans ce qui a l’air d’une maison de poupée victorienne, c’est plutôt la peur existentielle qui nous gagne. Comme dans les œuvres de Carideo et d’Eichwald, l’échelle intime des toiles de Cloutman souligne la manière dont les plans rapprochés nous plongent dans une relation intense et potentiellement mensongère avec les frontières.
Les variations sculpturales Debris Flow/Flux de débris de Smillie soulignent la muta- bilité intentionnelle. Smillie produit une pâte à partir de papier imprimé qu’il recycle, comme des catalogues Uline ou encore des enveloppes lourdement estampillées. Il comprime ces vestiges de communication personnelle et commerciale dans trois étagères à cassettes en bois et un classeur d’imprimerie pour en faire des flux de débris, Debris Flow Apple Tree, Debris Flow Converging Circles, Debris Flow Lucky Clover et Debris Flow Ascending Crosses. Ainsi, l’artiste se saisit d’objets du passé et les transforme en de nouveaux vaisseaux d’informations. Les motifs grillagés et discontinus qui en découlent rappellent les thèmes de frontière et de protection, des thèmes qu’explore notamment la structure de Carideo et que reprennent aussi les scènes intérieures de Cloutman.
Se saisir d’une idée, d’une inspiration ou d’un objet est décisif et courageux. Il nous faut suivre notre instinct jusqu’à ce qu’un choix soit fait. Mais qu’en est-il lorsque l’action qui en résulte altère notre contexte ? Et si, en fixant trop longuement un sujet, on le dé/recontextualisait ? Si Carideo, Eichwald, Cloutman et Smillie inves- tiguent tous différemment la tension qui existe entre le détail et l’ensemble dans lequel il s’inscrit, tous·tes mettent en scène le processus de pensée qui permet de protéger, d’exposer et de subvertir nos obsessions. En fin de compte, plus on s’ap proche d’une source de fascination, plus elle risque d’apparaître à la fois familière et étrange.
Texte par Esme Hogeveen
Traduction par Daphné B.