Au sein de et traversant de part en part Universalia, Bronson Smillie étend sa pratique consistant à sonder les possibilités d'intervention matérielle. La fugue qui en résulte nous invite à réfléchir sérieusement à toutes les modalités de sérialisation, mais surtout à l'acte de fixation d’un objet, codifié comme informatif, au sein d’un système de catégorisation. « Universalia », qui désigne les attributs, les propriétés ou les qualités communes à divers objets se manifeste comme le leitmotiv récurrent de l'exposition et de son angle d’investigation.

La série d'œuvres murales, Encyclopédie (I-VIII), fait office de manuel dysfonctionnel pour appréhender l'exposition dans son ensemble. En sculptant et en pelant sélectivement le cuir des encyclopédies, Smillie expose la couverture cartonnée des livres, évoquant alors un fascia. Le motif récurrent d'une maison et d'une fleur, en plus de l’effacement varié des titres embossés, est ponctué par des anneaux formés de boutons saugrenus. Tel un champ orbital, la brève vue d’une fenêtre, l'action de Smillie sur ces couvertures transpose l'importance des contenus à la matérialité externe. 

La série Felt Drawing interroge la certitude textuelle en rapport à la tradition de confection de manuels. Ici, on nous présente des pages profondément jaunies, encadrées par une couverture avant et arrière, provenant d’un registre comptable d’épicier du début du XXe siècle, sur lesquelles Smillie est intervenu en y ajoutant des feutres pour meubles, deux boutons couleur crème et une série d'illustrations vaporeuses et balancées, qui planent au-dessus de l’ancien griffonnage sous-jacent. Avec leur rondeur ferme et leur coloration fuligineuse — qui font écho à l'épaisseur des salissures présentes au centre et sur les bords avant —, les cercles de feutre flottants servent de points de départ au milieu d'une notation indéchiffrable qui n'a jamais été destinée à la consultation publique. 

En récupérant sans cesse des matériaux rejetés, encombrants et affectivement chargés qui s'harmonisent avec le papier, Smillie prolonge la ligne dessinée au-delà de la page. Si Paper Guillotine 4 se distingue par l'absence de papier, sa surface quadrillée — originellement la couleur du cuivre oxydé, aujourd'hui fortement patinée — évoque la présence passée des documents. Deux registres sont présents dans cette œuvre murale : un registre industriel basé sur l'acte de couper, ainsi qu'un rebond exubérant évoqué par des boutons extraits de leur fonction d'assemblage vestimentaire. 

Alors qu'ailleurs dans l'exposition les œuvres adoptent une position subversive au sein de séries et de sérialisations, dans l'œuvre installative à grande échelle Fore-edge Drawing (lean right), la possibilité d'échappement se retrouve dans la répétition et la masse matérielle. Construite à partir de livres provenant de trois volumes encyclopédiques différents, cette œuvre déplace la surface d’embellissement vers un lieu typiquement caché. Le plan texturé est orné d'un seul motif, répété autant de fois que possible sur toute la longueur de l'œuvre, laissant l'impression que l'image, asémique et inclinée, pourrait proliférer à l'infini. Si souples qu'elles perturbent à peine la surface, les lignes et le volume du motif reprennent en écho la page étendue par des gestes figuratifs. Cette œuvre ancre l'univers d'Universalia dans le potentiel communicatif, interrogatif et illimité de perturber nos relations avec des objets qui nous semblent familiers.

— Texte d'Emily Zuberec
traduction de Gautier Lemelin