A House is Not a Home [Qui dit maison ne dit pas demeure]

Artistes: Thomas Barger (Brooklyn, USA) + Claire Milbrath (Victoria, Canada)
Exposition: Du 10 juin au 17 juillet 2021

S’il nous arrivait de construire notre propre demeure en partant de zéro, l’entreprise nous révèlerait à nous-mêmes, nous obligerait à contempler la trame de notre vie, ses espoirs et ses rêves. Et pour matérialiser ce chez-soi, il nous faudrait scruter avec intransigeance les désirs qui se logent en nous. On retrouve cet éveil de la conscience, à la fois physique et émotionnel, dans le processus créatif de Claire Milbrath et de Thomas Barger. Ce thème traverse les structures, les relations et les récits qui régissent l’existence des deux artistes. De série en série, cette question marque des cycles de transition, d’évolution et s’insère progressivement dans une démarche plus large, pour faire œuvre.

On parle souvent de la cuisine comme étant le centre névralgique d’une maison, un endroit où la famille peut se rassembler et se sustenter. L’automne passé, après être retournée à Victoria, sa ville côtière natale, l’artiste canadienne Claire Milbrath a produit une série de toiles mettant en vedette ce lieu domestique, afin d’invoquer une réalité plus habitable. La représentation de cet espace, symbole de stabilité, de puissance féminine et de famille, annonce un nouveau départ après une période trouble. Alors que l’artiste élargit progressivement ses horizons, qu’elle nous fait passer de la cuisine au jardin, puis aux scènes kinky, son alter ego (Poor) Gray gagne en puissance et en effervescence : son corps se muscle, sa chevelure se couvre de boucles voluptueuses et le rose lui monte aux joues. Le personnage se trouve même de fidèles compagnons, une bande de bichons duveteux. On peut déceler chez les canins un portrait de l’artiste ; après tout, ils incarnent les désirs d’enracinement et d’épanouissement que Milbrath poursuit maintenant.

Les sculptures en papier mâché de Barger exsudent une originalité profonde qui va bien au-delà de leur fonction utilitaire. Toutes en courbes, elles ont la vibrance des couleurs vitaminées et on pourrait quasiment penser qu’on les a façonnées avec la langue, en les léchant jusqu’à en modeler de géantes friandises irrésistibles. Chez Barger, les motifs récurrents du trou et de la surface perforée renvoient à plusieurs significations et tissent un pont entre le cadre strict de son enfance et son expression sexuelle. Pour l’artiste, qui a grandi sur une ferme dans le Midwest américain, travailler le symbolisme de la chaise est aussi une façon d’interroger la domesticité, la religion, l’hétéronormativité et la queeritude, tout en dialoguant avec son héritage. Ses sculptures, si elles conservent en elles la trace de leur passé, projettent une simplicité et une inventivité qui dévoilent le processus introspectif et lucide de leur auteur.

Traduction par Daphné B.


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Biographies

Thomas Barger (né en 1992) vit et travaille à Brooklyn, aux États-Unis. Après avoir grandi sur une ferme bovine dans la campagne de Mattoon, en Illinois, Barger est parti à New York pour vivre pleinement son identité homosexuelle, loin de son milieu rural, conservateur et religieux. Au sein de ce nouvel environnement et dans le cadre de son travail, Barger s’est engagé dans un processus d’exploration émotionnelle, intellectuelle et spirituelle fondé sur la pratique de l’artisanat, du récit et de l’humour. Barger a étudié l’architecture et l’architecture paysagère à l’université de l’Illinois à Urbana-Champaign. Il a exposé en solo à Salon 94 (New York, 2019), Supply Seoul, (Seoul, 2019) et participera pour la première fois à une exposition muséale au Hancock Shaker Village Museum, Pittsfield. A House is Not a Home / Qui dit maison ne dit pas demeure est sa première exposition au Canada. Il est représenté par Salon 94 Design, à New York.

Claire Milbrath (née en 1989) est une artiste autodidacte qui pratique la peinture, la couture et le dessin. Elle adopte un style artistique qui rappelle les peintres naïfs et incorpore à son œuvre de larges bandes de couleurs luxuriantes, qui lui servent à échafauder sa composition picturale. Milbrath renouvelle la tradition coloristique en insérant dans son travail des vignettes sur l’amour à sens unique, les fantasmes sexuels et l’innocence de l’enfance. Pour Milbrath, refuser de représenter le corps sexualisé de la femme est une façon de libérer sa pratique des normes de genre. Les œuvres qu’elle a récemment présentées à la galerie Projet Pangée comportent des éléments biographiques, dans le but d’harmoniser ses aspirations à sa vie personnelle. Au cours des dernières années, elle a présenté son travail en solo et au sein d’expositions collectives. Ses plus récentes expositions ont eu lieu à Projet Pangée (Montréal, 2020), à la galerie Steve Turner (Los Angeles, 2020) et à la galerie Marie-Laure Fleisch (Bruxelles, 2019). Elle est l’éditrice en chef et la fondatrice du Editorial Magazine.