Trees That Worry
Des arbres s’inquiètent

Artiste: Marlon Kroll
Exposition: Du 4 juin au 16 juillet 2022

  • Les arbres sont des alphabets, disaient les Grecs. Parmi tous les arbres-lettres, le palmier est le plus beau. De l’écriture, profuse et distincte comme le jet de ses palmes, il possède l’effet majeur : la retombée. – Roland Barthes par Roland Barthes (1975)


    Dans « Vers l’écriture », un texte qu’on retrouve dans son autobiographie éponyme, Roland Barthes envisage les arbres comme des alphabets. Troncs de toute prose, leurs textures organiques détiendraient leur propre phonétique et acquerraient un sens au voisinage d’autres organismes. La forêt s’écrit ainsi comme un essai touffu, tandis que le bosquet ombragé devient couplet rimé.

    Après tout, pourquoi le langage, pilier de la communication humaine et de la production de sens, ne découlerait-il pas de la nature ? Barthes n’est ni le premier ni le dernier à écrire sur la corrélation entre les deux. Or, la relation qu’il trace entre la biologie et l’écriture structure désormais mon imagination. Telle une forêt, un paragraphe recouvre un système d’association et de sélection qui recèle une variabilité au potentiel infini. À preuve, on retrouve plus de 2600 espèces de palmiers sur Terre — une biodiversité exceptionnelle qui souligne l’existence d’un riche répertoire de langues vernaculaires.

    À mes yeux, le travail de Marlon Kroll se situe au croisement de la biologie et de la linguistique. En investissant plusieurs disciplines comme le dessin, la sculpture, la céramique ou l’animation (il se disperse dans différentes matières, pour ainsi dire), Kroll sème les graines d’un vocabulaire qui lui est propre. Grâce à une pratique multidisciplinaire, l’artiste défend un langage visuel pétri d’expressions idiomatiques, de jeux de mots et de ce que les biologistes évolutionnistes appellent le mimétisme, cette propriété qu’ont certains animaux à en imiter d’autres, par instinct de survie.

    Les apparences sont parfois trompeuses. Du camouflage du caméléon en passant par le corps-brindille du phasme, le mimétisme permet à certains animaux de recouvrer une apparence autre, sans toutefois compromettre leur véritable essence. Kroll use de cette stratégie dans son travail, révélant et dissimulant simultanément des souvenirs personnels et des rapports de ressemblance grâce à une syntaxe visuelle polysémique.

    Des cornes animales se métamorphosent en instruments à vent, des escaliers spiralent jusqu’à devenir coquillages — ces métaphores ludiques captivent rétine et psyché, imprègnent tour à tour les oeuvres d’un langage figuratif et d’une géométrie organique. Ultimement, le travail de Kroll n’engendre peut-être pas de « retombée ». Il nous fait plutôt tomber en lui. Et lorsqu’on chavire dans ses compositions vibrantes, elles demandent à être lues : il faut alors regarder et nommer ce que l’on voit pour qu’elles deviennent lisibles.

    Texte de Danica Pinteric.
    Traduction de Daphné B.

  • Marlon Kroll est un artiste germano-canadien qui vit et travaille à Montréal. Il est titulaire d’un baccalauréat en céramique de l’Université Concordia et est l’un des neuf lauréats du programme d’Ateliers Montréalais 2019-2022 de la Fonderie Darling. Il a été le lauréat 2020 du prix William et Meredith Saunderson pour les artistes émergents. Parmi ses expositions récentes, citons “Trees That Worry” [“Des arbres s’inquiètent”], Projet Pangée, Montréal, 2022 ; “Nesting”, Foundation Phi, Montréal, 2022 ; “Stress Tested”, Public Gallery, Londres, 2021 ; “A Chronique Fear”, Marvin Gardens, New York, 2021 ; “Rifts, hovels, a sighing tide”, Afternoon Projects, Vancouver, 2021 ; “La machine qui enseignait des airs aux oiseaux”, Musée d’art contemporain de Montréal, 2020 ; “At the center of my ironic faith”, Cassandra Cassandra, Toronto, 2020 ; “Red Sky at Morning”, Interstate Projects, Brooklyn, New York, 2019 ; et “Thirsty Things”, Clint Roenisch, Toronto, 2019. En 2023, il présentera des projets à Art-O-Rama, Marseille, et à la Galerie Acappella, Naples.